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Carte blanche parue dans “La Libre Belgique”, le 31 janvier 2009

Pubs clandestines, plus tant que cela

Si le projet de décret adaptant la “Directive européenne sur les services de médias audiovisuels” était voté, cela signifierait l’entrée des publicitaires à l’intérieur des contenus des émissions.

Décidément, la publicité envahit de plus en plus nos écrans. Le public n’est pas encore habitué à cette nouveauté qu’est l’”écran partagé” qui rend illisible la diffusion des génériques qui clôturent les films, puisque ceux-ci peuvent désormais se partager l’écran avec d’autres éléments moins culturels... Et voilà que la nouveauté la plus significative du dossier voté au Parlement de la Communauté Française (CF) ce 3 février sera sans doute pour le public le “feu vert” accordé au “placement de produit” (présence dans un programme d’une bouteille de limonade, d’une voiture, d’une marque déteterminée, etc.).

Désormais, celui-ci sera autorisé pour les fictions cinématographiques et TV, les programmes sportifs et de divertissement ou “à titre gratuit comme accessoire de production”. Ce dernier bout de phrase jésuitique permet une banalisation de la présence des marques, sauf dans les journaux télévisés (tout est possible, hélas, dans les autres programmes d’information) et dans les émissions pour enfants (rien n’indique s’il s’agit des -12 ou des –16 ans).

Personne dans le milieu professionnel n’est dupe de l’importance de cette entrée fracassante des publicitaires à l’intérieur des contenus des émissions et, même sur les bancs de la majorité, on a entendu un Carlo Di Antonio (CDH) craindre que ce placement de produit ne devienne “envahissant”...

Silence des professionnels

À la RTBF, certains n’ont pas attendu sa légalisation pour appliquer cette technique. Adrien Joveneau, l’animateur du Beau Vélo de RAVeL se confiait ainsi à Télémoustique, le 14 juin 2006: “...J’ai eu de gros conflits avec l’administrateur général précédent, Christian Druitte, trop notaire à mon goût. Je crevais d’envie de faire “Les Belges du bout du Monde” en télé. On m’a dit qu’il n’y avait pas les moyens. J’ai trouvé des partenaires. Un jour, l’administrateur a vu le “Guide du Routard” apparaître à l’antenne. C’était effectivement un placement de produit parce que l’émission recevait de l’argent du “Routard”. Il avait signé la convention mais l’avait sans doute oublié...”.

La perversion de cette nouvelle mise en évidence des annonceurs est au moins double. Fini, le zapping anti-pub: le public va échapper plus difficilement aux annonceurs puisque ceux-ci logent dans le programme lui-même. Mais il s’agit surtout d’une atteinte au droit de travailler pour les journalistes ou les animateurs et leurs syndicats semblent en sous-estimer les enjeux. Qui croira encore qu’un Joveneau nous présente tel guide plutôt que tel autre, parce qu’il l’a lu et a trouvé son contenu plus pertinent? Le placement de produit réduit le personnel médiatique, qu’il le veuille ou non, à des “marchands de tapis” et ne peut mener qu’à une progressive décridibilisation de leur profession auprès de leur public. L’Association des Journalites Professionnels aura-t-elle le courage d’en débattre avant qu’il ne soit trop tard?

Plainte pour “Melting Pot Café”

Quelques semaines avant l’approbation du projet de décret, sept sympathisants de VAP! (Plate-forme Vigilance Action Pub: www.vigilanceactionpub.org) ont déposé plainte auprès du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Ils ont stigmatisé un “placement de produit” inséré dans le quatrième épisode de la saison 2 de Melting Pot Café diffusé sur La Une: ”...Il s’agit d’une séquence où l’on voit ostensiblement l’une des héroïnes présenter à la caméra une (fausse) couverture (créée pour le besoin de la fiction) de l’hebdomadaire “Le Soir Mag” dont le titre (réel) est bien reconnaissable”.
> Voir l’image litigieuse

En CF, il faut pouvoir prouver que la “publicité clandestine” a bien été insérée “de manière intentionnelle par l’éditeur de service”, ce qui rend chez nous les condamnations plus complexes à obtenir qu’en France. Dans le cas présent, les plaignants ont heureusement retrouvé un article publié par Le Soir Mag en mars 2008 lors du tournage du feuilleton dans les Marolles. Sous le titre “Le Soir Mag en guest titre!”, on pouvait y lire :”...Notre hebdomadaire s’est discrètement glissé dans le tournage. On verra ainsi quelques faux numéros – avec couvertures plus vraies que nature- consultés par madame Astrid et consort. Ce petit clin d’œil rappelle simplement que notre titre est contributeur de cette belle aventure télévisuelle...”.

Druitte l’Effaceur!

Notre Gouvernement aurait pu choisir d’adopter une législation plus contraignante que celle de la Directive Européenne, mais il ne l’a pas fait pour laisser la voie ouverte aux publicitaires. Favoriser ou ne pas sanctionner l’entrée de la pub dans les émissions est un sport national avéré depuis longtemps en CF, à l’inverse de ce qui se passe en France. En 1997 déjà, l’Association des Téléspectateurs Actifs (ATA) avait irrité la Commission d’Ethique de la Publicité (CEP), organe extérieur au CSA qui, à l’époque, était chargé de réguler la publicité audiovisuelle, bien que composé essentiellement de représentants des annonceurs et des diffuseurs! L’ATA avait déposé au CEP une plainte concernant les publicités clandestines qui apparaissaient dans le show humoristique du vendredi soir, Bon Week-End: plaque en émail Stella Artois, panneau en forme de vitrail Leffe, enseigne lumineuse Hoegaarden... La Commission déclara irrecevable cette plainte pour un motif futile (le président et le secrétaire de l’ATA n’avaient pas demandé l’accord de leur CA avant de porter plainte) et reprit celle-ci à son compte, ce qui lui permit d’éviter de divulguer à l’ATA le compte-rendu de ses délibérations... qui ne sanctionnèrent pas la RTBF.

L’association des téléspectateurs réussit cependant à faire “flouter” par l’administrateur général Christian Druitte ces marques de bière chaque fois que la RTBF transmettait la copie de Bon Week-End pour rediffusion sur TV5. Cette chaîne francophone était, en effet, dépendante de la législation française beaucoup moins laxiste. L’ATA avait convaincu Hervé Bourges qui présidait à l’époque le CSA français de conditionner ces programmations sur TV5 à la disparition des marques.

Le numéro 32 de Comment Télez-vous?, le périodique de l’ATA, détaille sur 24 pages de façon percutante cette affaire. Il est téléchargeable dans la rubrique “ATA: archives”, numéro 32 du 14 mai 1997

Ceci montre à quel point la RTBF a toujours eu dans les tripes ce besoin d’introduire la publicité dans ses programmes et qu’il n’en est pas de même chez nos voisins. Le CSA y est plus exigeant et mieux financé (plus de personnel et donc plus de contrôle), ce qui pousse encore aujourd’hui tous les diffuseurs d’Outre-Quiévrain à rendre illisibles les marques qui seraient trop présentes dans leurs émissions, par le floutage ou en montant de façon inversée certaines images.

Interpellé sur cette thématique dans l’émission de médiation L’Hebdo du Médiateur, un journaliste de la rédaction de France2 expliquait ainsi aux téléspectateurs que lorsqu’il interviewait un sportif posant devant un mur de sponsor, il le filmait en gros plan pour éviter les sigles commerciaux. À la RTBF, on semble bien peu pratiquer pareille déontologie de l’image, ou même ignorer qu’elle pourrait exister!

Et RTL-TVI?

Bien sûr, ce “dossier” touche également ces autres acteurs de notre service public de l’audiovisuel que sont les télés locales. Quant à RTL-TVI... puisqu’elle réside depuis belle lurette au Grand Duché du Luxembourg où la réglementation est plus laxiste, la chaîne privée considère comme normal de diffuser ces “publicités clandestines” qui ne le sont plus du tout pour elle.

Mais est-il souhaitable que notre Gourvenement pousse ainsi nos télés publiques à ressembler de plus en plus à leurs consoeurs privées? Où réside donc encore le droit à la différence et à la diversité pour les téléspectateurs?

En “bonus”!

Le 31 janvier 2009, “La Libre Belgique” a donc publié en “libre opinion” ce texte qui est un condencé (dont j’assure la responsabilité) de ma chronique du “Journal du Mardi”

Voici, en bonus, un question publiée uniquement dans le texte du “Journal du Mardi”:

“...On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi nos quotidiens ne se positionnent pas auprès de leurs lecteurs sur cette thématique, à l’inverse de l’attitude qu’ils avaient eu naguère, lors de l’arrivée de la pub à la RTBF.”.



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