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Une "opinion" de Bernard Hennebert publiée le 1er août 2012 par "lemonde.be"

Pour une politique culturelle qui réhabilite les droits du public

Après avoir fait attendre plus d'une demi-heure le public qui avait déboursé entre 90 et 276 euros pour assister à sa prestation, Madonna n'a proposé qu'un mini-show de 48 minutes à l'Olympia et s'est fait copieusement huer.
Beaucoup ont crié "Remboursez!" mais personne ne l'a été. Il faut garantir la liberté de l'expression culturelle. Certains apprécieront, et d'autre pas, une même prestation artistique et il n'est donc pas aisé de définir quand un spectacle serait avarié, à l'inverse d'un surgelé périmé. La durée n'est pas non plus un critère "neutre": un concert de trois quart d'heure peut vous surprendre, et une prestation d'une centaine de minutes vous lasser. Les goûts et les couleurs...

Ce été, à Avignon, certains n'ont pas apprécié le spectacle "33 Tours et quelques secondes" car aucun acteur n'y joue sur scène. Il s'agit d'une performance qui utilise un tourne-disque, une page facebook, un répondeur téléphonique et d'autres technologies actuelles. Par contre la "critique" fut plutôt élogieuse.

Ces deux exemples sont sans doute radicalement différents et pourtant ils ont un point commun: pour chacun d'eux, le public a été mal informé avant l'achat de son ticket. Il suffirait d'adapter au domaine du spectacle l'obligation d'indiquer le "poids" ou la "date de fraîcheur" qui existent dans le secteur de l'alimentation. Le public aurait ainsi réservé sa place à l'Olympia en sachant clairement qu'il s'agissait d'un "mini-show". Quant au programme d'Avignon, il aurait dû mieux définir la nature de son activité: "installation" eût été préférable à "spectacle".

Ne pas mentionner les colorants!

Même si elles constituent de fait un manque de respect évident à l'égard du public, ces approximations n'ont probablement pas été mise en place avec volonté de nuire. Encore que... Est-il normal que, quand il y a des musiciens vivants sur scène, leur présence est signalée sur l'affiche, alors que lorsqu'une comédie musicale remplace la prestation d'un orchestre par la diffusion de bandes sonores, la promotion omet de signaler ce "play-back"? Deux poids, deux mesures. À l'inverse du commerce habituel où le consommateur a conquis depuis longtemps déjà le droit de connaître la composition complète du produit, le secteur culturel ou médiatique (en télé, on incruste à tous les coups des "en direct" sur un coin de l'écran, mais quasi jamais un "en différé") en sont toujours au stade de surmédiatiser les "ingrédients" positifs, et de taire les "colorants". Et pire: on a vu des clips de promotion filmés à Paris où les musiciens jouaient en chair et en os sur scène être diffusés pour lancer les préventes dudit spectacle en province ou à l'étranger, là où ceux-ci ne seront plus présents!

Bien entendu, les artistes ne sont pas des "produits", mais n'est-il pas contradictoire que la culture, qui constitue un secteur de la vie économique qu'on dit souvent se particulariser par son supplément d'âme, soit précisément en retard d'une guerre dans la clarté de la présentation au public de ses prestations, avant achat du ticket, à l'inverse de ce qui se pratique dans le reste des échanges commerciaux?

Est-il normal que l'on soit incité à acheter souvent pour un prix élevé un service culturel alors que son contenu n'est pas encore décidé ou annoncé de façon détaillé? Combien de festivals d'été vendent leurs tickets tant de mois à l'avance, bien que leur programmation ne soit pas terminée? Pour combattre pareille mauvaise habitude, il faudrait sans doute commencer par légiférer à un niveau européen: interdire les "préventes" qui débuteraient plus de six mois avant le début du déroulement de l'activité, alors que les tickets pour des spectacles de Mylène Farner ou Charles Aznavour s'achètent désormais pendant plus d'un an et demi! Pareille évolution rééquilibrerait d'ailleurs une concurrence quasi déloyale qui existe désormais sur le marché culturel entre les maxi organisateurs et les autres.

Inventer un nouveau consumérisme

En fait, nous avons besoin de culture comme de pain. Elle nourrit notre vie, nos espoirs, nos liens avec les autres. C'est sans doute pour cela que nous avons préféré jusqu'à aujourd'hui soutenir les créateurs, sans trop nous préoccuper de nos droits d'usagers. Hélas, l'industrialisation s'implante de plus en plus dans ce secteur d'activité et devient parfois même agressive. Ce ne seront pas les artistes ou les sociétés de droits d'auteurs qui pourront s'y opposer, maintenir le respect "d'un juste milieu", car, même si elles sont de bonne volonté, elles restent "juge et partie" et, hélas, l'intérêt économique triomphe si souvent en fin de parcours.

Par contre, des associations d'usagers pourraient jouer un rôle réel de contre-pouvoir et de régulateur. Pour que de telles structures puissent agir, elles doivent pouvoir défendre concrètement les intérêts lésés des visiteurs de musées, d'acheteurs de tickets de spectacles ou de DVD, de spectateurs de salles de cinéma, etc. Mais des procès ne peuvent se gagner que lorsque des régles claires existent. Voilà pourquoi il faudra que des chercheurs, tout comme ces scientifiques qui fourmillent pour élaborer les posologies pour médicaments, se mettent à définir quelles sont les informations auxquelles le public devrait avoir droit avant de partir à la découverte d'une activité culturelle.

Bref, il faut inventer de nouveaux "50 millions de consommateurs" ou "Que Choisir?" qui s'intéressent à ces produits qui n'en sont pas vraiment, mais qui, hélas, le deviennent de plus en plus.

La tâche n'est pas impossible. La Belgique est pionnière dans ce domaine bien particulier. Avec succès, depuis 2006 déjà, de nombreux organismes culturels francophones subventionnés y appliquent un "Code de respect des Usagers Culturels" élaboré pendant près d'un an par une commission mixte composée d'acteurs culturels et d'associations de consommateurs. Ce texte, en quinze points précis, indique notamment de manière détaillée quelles sont les informations auxquelles le public a droit avant d'acheter un "produit" culturel, l'obligation de mentionner de manière exhaustive les réductions, de ne pas pratiquer la surréservation, etc. Les organisateurs doivent populariser l'existence de ce texte et sont obligés de répondre dans les trente jours et "de manière circonstanciée" (pour empêcher les simples accusés de réception bureaucratiques) aux plaintes reçues. Des sanctions sont prévues en cas de manquement à cette réglementation. Ainsi, un des cinquante musées belges pratiquant la "gratuité du premier dimanchedu mois" qui n'avait jamais renseigné cet avantage durant près de trois ans, ni à l'entrée de ses locaux, ni sur son site internet, ni dans ses dépliants, fut contraint, suite à une plainte d'un visiteur traitée par une commission ad hoc du ministère, dans les trois semaines, à remédier à cette information défaillante.

Voilà une piste novatrice, complémentaire, pour une politique culturelle qui réhabiliterait les droits du public, dans la lignée du combat déjà entrepris par le site Louvrepourtous.fr pour contester la décision radicale prise unilatéralement, il y a quelques mois, par le Musée d'Orsay, sans consultation de ses visiteurs, de supprimer totalement les prises de photos, même sans utilisation d'un flash.

Bernard Hennebert



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