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Nos médias (N°52 / 22 mai 2007)
La RTBF: un service public pour insomniaques
Et quoi encore, après le "Reine Elisabeth"?

Le 12 mai dernier, j'ai eu un bref échange (le premier depuis plus d'une dizaine d'années) avec Elio Di Rupo, le président du PS, qui imprime depuis plus d'une décade son emprunte dans l'évolution de notre paysage audiovisuel. Il m'a marqué son accord pour que l'on se rencontre après les élections pour échanger à propos de la RTBF.

Au cabinet de la Ministre de l'Audiovisuel Fadila Laanan, on nous annonce que les deux décrets qui pourraient permettre à la RTBF d'engranger davantage de recettes publicitaires ainsi que le recours à de nouvelles formes de présentation (pub interactive ou virtuelle, écrans partagés, etc.) ne seront pas soumis aux parlementaires avant les élections comme le craignaient certains. Il devient donc matériellement possible que l'Appel des 100 (que nous avons publié intégralement, il y a deux semaines) puisse être pris en considération par Mme Laanan, permettant l'organisation d'un vaste débat public avant toute prise de décision définitive sur ce dossier.

L'abus de sports: un "problème de riche"

Le souci pour plaire aux annonceurs poursuit ses ravages en relèguant à des horaires quasi confidentiels différents programmes qui relèvent directement des missions spécifiques de la RTBF. La nouvelle horreur de la semaine? Du 28 mai au 2 juin, la diffusion en direct de la finale du Concours Reine Elisabeth.

De tous temps, la direction de la RTBF et les autorités politiques étaient fiers de citer, à juste titre, cette intiative comme un exemple de réussite populaire de diffusion culturelle: permettre au public de découvrir au prime time de l'une de ses deux chaînes amirales, une semaine durant, les prestations de tant de jeunes chanteurs, pianistes ou violonistes prometteurs. C'était d'ailleurs une sorte d'alibi culturel qui permettait de justifier l'éclectisme des choix ertébéens, car généralement à la même époque se déroule le Concours Eurovision de la Chanson. Il en faut pour tous les goûts. Mais aujourd'hui, ne demeure accessible au plus grand nombre que cette joute qui occepe désormais deux soirées de La Une et qui ne retient de l'Europe que ses nationalismes exarcerbés, sa pseudo créativité de pacotille industrialisée ainsi que les commentaires les plus plats de ses envoyés spéciaux plutôt machos qui, comme ceux de la RTBF, s'extasient à tout bout champ sur les "bombes" qui s'agitent sur scène.

Pour suivre la semaine des finales 2007 du Reine Elisabeth, il faudra soit pouvoir veiller tous les jours de 22H45 jusqu'à 2 heures du matin sur La Deux, soit appartenir au public très peu nombreux et généralement cultivé d'Arte Belgique (voir encadré).

Durant cette même période, à l'inverse de la culture (dans le sens artistique du terme), le sport aura bien droit à chambouler les programmes habituels de La Deux puisque, chaque soir à 20H10, des rendez-vous d'une demi-heure seront consacrés à Roland Garros.

Ces dernières années, le déséquilibre entre les prime-time sportifs ou culturels est devenu criant. D'ailleurs régulièrement, La Une et La Deux alignent en même temps des programmes sportifs, ce qui ne laisse aucune alternative au public. Dans Décode, le 25 novembre dernier, Emmanuel Tourpe, responsable des nouvelles grilles ertébéennes, déclarait: "Nous avons un problème de riche! C'est que nous avons une offre de sport qui est une offre extrêmement riche, généreuse". Il omettait d'ajouter: "...Et onéreuse!".

Messieurs Philippot et Bigot (respectivement administrateur général et directeur des antennes TV) déclarent régulièrement qu'ils adorent le sport. Seraient-ils incapables de se distancier de leurs goûts personnels dans leur programmation?

Les décideurs en vase-clos

D'autres mauvais coups se préparent: la diffusion tard dans la nuit sur La Deux du JT avec traduction en langue des signes, la création d'un JT matinal qui ne répond pas à une attente majeure du public mais qui permettrait de renforcer l'attrait des possibilités publicitaires, heure après heure, jusqu'au JT de 13H(1).

La situation s'est tellement dégradée que le public commence à réagir, et ailleurs que dans les émissions de médiation de la RTBF puisque celles-ci ont été aseptisées par l'actuelle direction. Apparaissent ainsi des groupes de pression qui s'installent dans la durée, ce qui est nouveau (Respire, Démonteurs de pub, les Equipes Populaires qui développent une campagne de sensibilisation, etc.).

Jusqu'à présent, ils ont été maintenus à distancedans les lieux de réflexion officiels, ce qui ne permet pas à un débat de fond de prendre corps et pousse les pro-publicitaires (peu nombreux dans la population mais majoritaires chez les décideurs) à vivre en vase clos et sous-estimer les conséquences néfastes de la présence publicitaire pour le service public. Ainsi, l'association Respire avait demandé en vain à être auditionnée par les parlementaires dans le cadre de la renégociation du contrat de gestion alors que deux représentants du lobby des annonceurs furent entendus avec quasi le même argumentaire! La nouvelle composition du Collège d'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) soumise au gouvernement le 11 mai dernier ne tient pas non plus compte de cette nouvelle donne. Enfin, dans nombre de manifestations publiques soutenues par la Communauté française, le podium est occupé par les diffuseurs et les représentants de leurs régies... et les animateurs de séance demandent toujours aux antipublicitaires relégués dans la salle de n'intervenir dans les "questions-réponses" que d'une manière concise!

Pas crédible

On comprend mieux dès lors que Jean-Paul Philippot soit peu rôdé pour entamer un débat contradictoire sur cette thématique. Il sort des chiffres cataclysmiques de son chapeau sans jamais vraiment les prouver. Sera-t-il encore longtemps réduit, dans pareil élan manichéen, à pratiquer l'éternel chantage à l'emploi et à susciter la peur au public en lui faisant croire qu'il sera privé de dessert (du sport et du divertissement jusqu'à plus soif) s'il ne courbe pas l'échine sous le tsunami des réclames?

Le 3 avril 2006, un long entretien lui était consacré dans les quotidiens de Sud Presse (La Capitale, La Meuse, etc.) avec un titre à faire pleurer dans les chaumières: "Sans pub? 750 personnes en moins!". Sam Christophe lui demanda: "Selon vous, une RTBF sans pub, c'est possible"? Mr Philippot: "J'ai fait faire l'étude. Si on supprime la pub à la RTBF, l'entreprise devra licencier 750 personnes. Voilà... Un certain nombre d'émissions ne seraient plus faites, un certain nombre de missions ne seraient plus assurées". Dès cette parution, Respire a tenté de prendre connaissance du contenu de cette étude.

L'association s'est en vain jusqu'à présent adressée au Service de médiation interne de la RTBF et a saisi le Service de médiation de la Communauté française. Plus d'un an plus tard, toujours aucune trace de cette enquête, à se demander si elle existe vraiment. On peut comprendre que la RTBF considère certaines études comme des secrets industriels mais alors pourquoi, dans le cas présent, l'administrateur général en dévoile-t-il lui-même le contenu à la presse? Quand il lui est demandé d'apporter la preuve de ses dires, il se dérobe. Il reviendrait donc au législateur de préciser quels documents internes un service public peut garder secret afin d'éviter qu'il ne mène une politique d'opacité à l'égard de ses principaux alliés, ses usagers.

Pour tenter de contrer l'Appel des 100 qui revendique simplement un débat public et pluraliste (serait-ce si gênant?), la même tactique des titres à angoisser vient d'être utilisée par Le Soir du 12/05/2007. En page une: "Sans pub, la RTBF se meurt". En début d'article: "Philippot sort des chiffres: 16 h de moins par jour". Selon ses "calculs" (ce n'est plus une "étude"!), la suppression de la pub à l'antenne(2) "...se traduirait par une perte des programmes de fiction ou de sports et la suppression de 16,5 heures de programmes télé par jour. Soit la suppression d'une des deux chaînes télé. Si l'on étendait l'interdiction en radio, on fermerait 4 et nos 5 chaînes!". Jean-François Lauwens, l'auteur de l'article, note qu'il faudrait ajouter une suppression d'emploi (différente de celle publiée par Sud Presse: voir plus haut) évaluée à "298 à 338 emplois dont 80 perdus suite à la perte de droits comme ceux du foot".

Dans Télémoustique (16/05/2007), Marc Moulin, qui a bien connu en interne la RTBF pour y avoir longtemps travaillé, démontre avec une efficacité redoutable que: "...Au moment où la pub (est arrivée), il y avait deux chaînes télé et quatre chaînes radio! D'accord, certaines choses sont devenues très chères, comme les salaires des directeurs (aussi nombreux que des colonels en Amérique latine) et les droits du foot. Mais d'apprendre comme ça que 70% des programmes d'une radio-télé de service public sont gouvernés par les 20% de sa pub, alors qu'il y a 80% de dotation publique dans ses ressources, voilà qui confirme l'urgence d'un débat...".

Ce débat devrait avoir tout le temps de se mettre en place puisqu'il n'y a aucune urgence pour la RTBF. L'article du Soir rappelle en effet que le Service public est loin d'avoir atteint le plafond de 25% de ses recettes. L'objectif souhaité de 30% ne serait qu'un enjeu "plus psychologique que vraiment économique". Ah bon! Mais alors pourquoi donc mettre tant d'énergie pour ouvrir à fond les vannes publicitaires?

Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be

(1) Nous reviendrons sur ces deux thèmes ultérieurement.
(2) L'Appel des 100 demande simplement, dans un premier temps, qu'on n'augmente pas les rentrées publicitaires. Ce cas de figure-là, étonnamment, n'est pas chiffré.


Arte Belgique: une fausse bonne idée

Le choix éditorial pour le "Reine Elisabeth" cumule tous les désavantages pour le télespectateur.

Il ne lui permet pas de découvrir pendant une semaine les programmes habituels des soirées d'Arte, privant ainsi le public belge d'une série de documentaires sur le Honduras, le Mont Cervin, la Pennsylvanie, le Proche-Orient ou la Lorraine, une émission scientifique sur le cerveau, un Théma sur la contrefaçon, la présentation d'un opéra bouffe en direct du Grand Théâtre de Genève, etc. Il y a là un réel problème d'accès à la chaîne culturelle pour ses fervents. Le meccano d'Arte Belgique, inventé pour éjecter la culture des prime-time de La Une et de La Deux, s'avère franchement malfaisant.

S'il ne regarde pas la présentation confidentielle du "Reine Elisabeth" à 20H sur Arte Belgique, le téléspectateur aura intérêt à être insomniaque puisque La Deux proposera une rediffusion de 22H45 à 2H00!

Et tout ce remue-ménage pour quoi? Pour proposer chaque soir sur La Deux vers 20H des programmes que ne renierait pas RTL TVI: essentiellement des films dits commerciaux (Rue des Plaisirs, La Loi des Armes, Une Femme de Ménage), des séries (Au cœur du Pouvoir, FBI, Portés Disparus), et le Meilleur de l'humour (le best of d'Anne Romanov). Seule, la soirée du dimanche proposera des programmes davantage "service public": le magazine Matière Grise ainsi qu'un documentaire, Six Jours en Juin.



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