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Nos médias (N°28 / 7 novembre 2006)
Un remède anti-censure supprimé!

En France, les réalisateurs de débats télévisés se doivent d'être de plus en plus prudents s'ils veulent censurer au montage tel ou tel propos d'un de leurs invités!

Ils peuvent craindre en effet que ce dernier, s'il se sent lésé, aille témoigner après coup dans l'une des multiples émissions qui traitent de l'actualité des médias(1). Celles-ci peuvent donc servir de bouclier plus ou moins préventiv e en faveur de la liberté d'expression.

Coupure ou censure?

Le 20 octobre dernier, Jean-Marc Morandini a ainsi diffusé dans son émission d'Europe1 le témoignage de Patrick Timsit. L'humoriste y dénonçait la coupe au montage faite par Laurent Ruquier d'une altercation qu'il avait eu avec le chanteur Renaud sur la plateau de la nouvelle émission du samedi soir de France2, On n'est pas couché.

En regardant Timsit dans les yeux, Renaud avait déclaré: "Ne vous en déplaise, le plus grand génocide est celui des Indiens". L'humoriste n'a guère apprécié ce "ne vous en déplaise", comme si le chanteur imaginait qu'il pensait que le génocide juif était le plus grand. Comme si, quand on abordait le génocide des Indiens, il fallait absolument citer également celui qui concernait le peuple juif.

Morandini a ensuite demandé à Ruquier de se justifier en direct sur Europe1. Celui-ci lui a expliqué que son émission était toujours montée et qu'il avait fait cette coupe parce qu'à l'issue de l'enregistrement, Renaud avait souhaité que cet échange un peu vif ne soit pas diffusé et que Timsit, à aucun moment, n'avait demandé qu'il soit expressément conservé.

Bien sûr, si cet extrait avait été significatif, il l'aurait alors diffusé. Par exemple, s'il s'avérait que le chanteur fut antisémite, ce qui n'est pas le cas puisque Renaud explique régulièrement à ses jeunes admirateurs de manière très pédagogique sur son blog ou ailleurs comment s'est déroulé le génocide Juif.

Marche arrière pour France 5

Il est clair que le montage d'une émission peut interpeller car le téléspectateur (ou l'auditeur, la télé n'ayant pas le monopole de ce type de séquences) n'a pas accès à l'ensemble du tournage et certains réalisateurs peuvent d'ailleurs profiter de ce manque de transparence.

Désormais, l'évolution technologique peut remédier à cette situation: il devient facile de diffuser sur internet les rusches d'une émission. Ainsi, à Alain Jennotte, l'administrateur général de la RTBF, Jean-Paul Philippot, décrivait l'un des usages possibles du service de vidéo à la demande (VOD) qui va se mettre en place sur le service public: "Une interview a dû être coupée pour le JT? On la diffusera intégralement sur le site" (Le Soir, 20/10/2006).

Dans ce domaine, Arrêt sur images, le magazine de France5 qui décrypte l'évolution des médias(2), joue un rôle précurseur depuis 1999 en proposant sur internet le tournage intégral de ses émissions: soit une bonne dizaine de minutes en plus que la version montée d'un format de 52 minutes.

La dernière séquence de l'émission du 1er octobre dernier a dénoncé la décision de la direction de France5 de ne diffuser désormais sur internet que la version montée. Des témoignages d'usagers furent rapportés par Chloé Delaume, la forumancière de l'émission(3): "Voir l'intégrale filmée, avec toutes les erreurs, rattrapages, lapsus, développements hors sujets, reprises, et connivences affichées après générique (délicieuses à décrypter) constitue (constituait?) une expérience de spectateur rare, même unique à la net-télévision" ou "C'est donc la fin de la transparence... et d'une certaine manière, de la crédibilité. Parce qu'une émission qui décrypte les autres en dénonçant les effets de montage et les propos "off", mais qui ne propose plus à ses téléspectateurs les moyens d'appliquer à elle-même ces outils de décryptage perd sacrément de sa crédibilité. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais!".

Daniel Schneidermann, l'animateur et producteur de l'émission, a expliqué à l'antenne sa déception: "Plusieurs raisons ont été avancées par la direction de France5: juridiques, économiques, techniques. Je dois dire franchement qu'aucune de ces raisons m'ont convaincues. Je veux croire qu'à force de convictions et de persuasion, nous arriverons à faire rétablir la version intégrale en ligne". Et d'ajouter sur son blog: "Nous étions tous fiers de faire la seule émission de la télé française qui expose en toute transparence son travail de montage. C'était civique. C'était pédagogique".

Des internautes ont pris l'initiative de lancer une pétition qui demande ce rétablissement et à l'heure actuelle, elle s'achemine vers 4.000 signatures(4).

Et un cavardiage économique!

Ce retour en arrière de France5 peut s'expliquer par la crainte de procès, dans certains cas précis, pour diffamation ou de droits à l'image. Daniel Schneidermann a pourtant expliqué, au cours de son intervention dans l'émission du 1er octobre, qu'il avait dû se positionner, à 2 ou 3 reprises, par rapport à des propos litigieux prononcés par certains invités et que dans ces cas-là, il n'avait pas hésité à les couper dans la version "intégrale" proposée sur internet.

Mais il existe aussi des coupures plus politiques, économiques ou idéologiques et il est logique que les directions des médias n'aient aucune envie de les pratiquer sur les versions montées destinées aux radios ou aux télévisions pour ensuite se fragiliser en diffusant les intégrales sur le net!

On se souviendra de cet exemple fameux d'une coupe-censure de type économique. Philippe Val, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, avait publié le 26 mai 1999 un édito où il expliquait comment l'un de ses propos avait été caviardé par l'émission de France2, Place de la République. Il avait déclaré lors du tournage: "Plus les richesses sont concentrées entre les mains de Bouygues, Lagardère, Jean-Marie Messier, patron de Vivendi, moins il y a de chance pour qu'il en reste pour les autres. Voilà pourquoi il faut faire de la politique...". Le bout de phrase "Jean-Marie Messier, patron de Vivendi" fut éliminé au montage car France2 avait confié la production de cette émission à Capa. Cette société audiovielle avait un autre client... très important: Karl Zéro et son Vrai Journal, diffusé sur Canal+ dont le patron était justement Jean-Marie Messier, ce qui explique la brève ablation quasi chirurgicale!

Capa perdit le procès qu'elle fit à Philippe Val pour cet édito dénonciateur. Les attendus du jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris rendus le 14 mars 2000 indiquaient: "L'éditorial litigieux a été rédigé dans l'intérêt légitime du public, sur un sujet essentiel pour la démocratie".(5)

Chaque mot compte dans les médias, car destiné à être découvert par des dizaines ou des centaines de milliers de personnes. Et comme certains de ces mots ne plaisent pas à tout le monde, il est donc très important d'être attentif au fait que le développement de toute nouvelle technologie qui pourrait contester leur mise à l'ombre ne soit pas entravé d'une manière ou d'une autre.

Bernard Hennebert
bernard.hennebert@consoloisirs.be

(1) Pareilles émissions sont quasi inexistantes en Communauté française!
(2) Chaque dimanche vers 13H35.
(3) Une fois par mois, les journalistes de l'émissions doivent répondre aux critiques des internautes sélectionnées par Chloé Delaume.
(4) Voir http://petitionasi.free.fr
Le forum de l'émission: http://forums.france5.fr/arretsurimages
Adresse postale:
Claude-Yves Robin
France 5
Direction générale
10, rue Horace-Vernet
92785 Issy-les-Moulineaux cedex 9
France.
(5) Le périodique de feu l'Association des téléspectateurs actifs, Comment Télez-Vous? (N°57, pages 2, 3 et 4) reproduit cet éditorial de Philippe Val, des extraits des attendus du jugement, etc.



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